Né le 21 août 1913 à Savigny sur Orge d’un père parisien et d’une mère berrichonne, il perdra très tôt ses parents.
Son père travaillait dans une banque. Ce dernier mobilisé en 1914, meurt lors de l’attaque de Verdun en 1915. A l’age de 6 ans il perd sa mère ; déjà pupille de la nation il se retrouve à l’assistance publique. Placé dans une ferme dans le Cher à Thénioux, il gardera toujours un souvenir ému de son enfance à la campagne. Rien ne pouvait plus lui faire plaisir que de lui offrir une galette de pomme de terre ou du fromage de chèvre bien sec.
Tout petit alors que ses camarades jouaient aux peaux-rouges il se fabriquait une chapelle avec des chaises et il s’essayait à dire la messe. Sa vocation se précise le jour de sa première communion. Inexorablement il est attiré par le sacerdoce des curés de campagne souhaitant suivre leur route semée d’embûches, participer à leur lutte quotidienne, partager enfin leurs épreuves comme leurs efforts.
Il entre au petit séminaire de Versailles en 1925, puis au grand séminaire où il laissera le souvenir d’un homme simple et exemplaire. Pierre CAZES est ordonné prêtre le 29 juin 1939, il est nommé quinze jours plus tard à Louveciennes comme aumônier d’un orphelinat et d’une maison de retraite.
Cinq jours après la déclaration de guerre, le 8 septembre 1939, il est nommé prêtre de la paroisse de Vigny en remplacement de l’abbé ORIOU1, Il arrive à Vigny par la route nationale et il sera marqué à tout jamais par la vision de ce petit village blotti autour de son église. La première impression sur les paroissiens fut celle d’un homme jeune, frêle, au visage émacié avec un regard brûlant éclairé par une ardente flamme intérieure ; il avait l’air d’un pré-adolescent. Un notable du village lui dit même : « vous êtes bien jeune on vous appuierait sur le nez il sortirait du lait ». Le jour même il va voir le maire, le soir il est invité chez la châtelaine qui le questionne sur l’église, les évêques de France et le pape ; elle le prit un instant pour un espion. Ensuite il rend visite à chaque famille. Il remet de l’ordre dans le déroulement de la messe car pendant l’office les enfants de cœur jouaient aux billes. L’archiprêtre de Pontoise l’avait prévenu avant qu’il ne vienne à Vigny : « attention vous êtes nommé dans un guêpier » fort heureusement il se révélera que le nid fut à sa mesure.
Le 27 novembre 1939 il est mobilisé, il part dans un camp près de Bourges, laissant la paroisse sous la surveillance du curé de Sagy. Son absence ne fut que de courte durée. Le 31 décembre, il regagne sa paroisse définitivement réformé, il était déjà de santé délicate.
C’est dans un milieu foncièrement rural et familial que notre curé réorganise le catéchisme en instaurant trois séances par semaine. Au cours de ces séances il avait l’air sévère avec son petit chapeau carré et sa barrette à la main avec laquelle il faisait de grands gestes : on aurait entendu une mouche voler. Il s’occupe des jeunes avec le patronage. Il organise des séances récréatives pour les garçons et les filles car avant son arrivée il n’y avait pas de mixité.
Au cours de ces sorties, en automne ils ramassaient des châtaignes, au printemps du muguet. Tout le monde chantait, le père Cazes
jouant des castagnettes. Il y avait également le jeu du drapeau. Des équipes étaient formées. Chacun avait un foulard d’une certaine couleur qu’il gardait définitivement. Ils jouaient aux gendarmes et aux voleurs sur un grand territoire entre Vigny et Longuesse.
Ce jeu durait des demi-journées. Les parties de « saute moutons » avec les jeunes scandalisaient les « dames patronnesses» car à l’époque il était en soutane. Il avait beaucoup de travail car il assurait aussi la messe et le catéchisme à Longuesse ainsi que les vêpres.
Le 2 juin 1940, jour de la fête du sacré cœur, il place la paroisse sous la protection de Notre Dame des Victoires. Il émet le vœu que si l’église et la population de Vigny sont épargnées, il apposerait une plaque de marbre à Notre Dame en reconnaissance de sa bienveillante intervention et cela quand les hostilités seront terminées et que la France sera victorieuse. Ce vœu fut exaucé. Le 9 juin c’est l’exode : après un prêche à Sagy il aperçoit dans les cours de ferme beaucoup de grosses voitures bourrées de monde. Il est un des derniers à partir non sans avoir consommé les saintes espèces avec un pieux paroissien, et avoir caché les vases sacrés qui furent enfermés dans un placard secret du château. Le Notaire le décide à partir vers la gare de Meulan, les quais étaient noirs de monde et les rares trains qui passaient étaient tellement bondés qu’ils ne laissaient de place à personne
C’est alors qu’une femme portant un bébé dans les bras vient le trouver.
Mais laissons parler le père Cazes : “Monsieur l’abbé, pouvez vous baptiser ma petite fille ?
Je lui réponds : pourquoi pas ! Est-elle malade?
– Non, répond la jeune femme, mais on ne sait pas ce qui peut arriver, les avions allemands sont au-dessus de nous.
– Eh bien Madame, allons à la fontaine.
J’ai baptisé la petite et je n’en ai plus entendu parler jusqu’au jour où cet enfant atteignit ses 12 ans, c’était au moment de sa profession de foi, une dame vient me trouver et me demande : -Vous êtes le Curé de Vigny?
– Oui Madame.
– Auriez-vous l’acte de Baptême de ma fille ?
– Mais, je ne sais pas comment vous vous appelez !
– Elle me répond que le Curé de l’époque avait baptisé sa fille sur le quai de la gare de Meulan.
– Madame, c’était moi Je vais vous faire l’acte de Baptême tout de suite.”
Ensuite notre abbé part à Paris où il reste 8 jours. Puis il rafistole un vieux vélo et prend la direction de Vigny. Tous les ponts sur la Seine sont coupés, il passe en radeau à la hauteur de Poissy. Le spectacle dans la région n’est pas beau à voir. Ce n’est que chevaux morts, cadavres
Le 22 juin, il est enfin de retour au village. Il n’y avait plus que trente personnes dans le village et plus d’électricité. Il recommence à dire la messe, il sonne trois fois l’angélus par jour et prenant son vélo il
part remplacer les confrères des paroisses voisines. Le presbytère avait été saccagé, toutes les affaires avaient disparu : des objets en cuivre, la vaisselle volés ou disséminés dans le parc du château. Il retrouve même ses ornements d’église éparpillés dans la nature alors qu’il les avait cachés dans la lunette des cabinets. Il reste avec une trentaine de personnes pendant trois semaines puis petit à petit les gens rentrent.
En mai 1942, lors de la retraite de la communion, il y avait des moments de détente. Plusieurs fois, il emmenait ses jeunes à la carrière du bois des Roches. Les enfants montaient dans les wagonnets, en haut d’une côte et se laissaient glisser jusqu’en bas, le tout accompagné de cris et de rires sans voir le danger. Le jour de la communion solennelle, il était invité partout, et pour satisfaire tout le monde, passait chez chacun en grignotant ça et là.
Le 16 juin 1942, le père CAZES organise de nouveau la procession du Saint Sacrement. Toutes les processions avaient été interdites par l’occupant après la défaite de juin 1940.
En septembre, grâce à madame la comtesse DE KERVEGUEN, s’installent au château les sœurs franciscaines missionnaires de Marie avec leurs malades qui avaient quitté leur hôpital de Berck plage. Cette arrivée donna au pays une nouvelle activité et favorisa l’ouverture d’une école libre. Cette école s’installa sur la place dans la maison DUCROQ. Mais très vite l’effectif des élèves augmenta rapidement et en fin d’année scolaire l’exiguïté de la maison obligea les sœurs à déménager rue Beaudoin. Puis en octobre 1943 l’effectif atteint 118 élèves et 24 pensionnaires. En avril de l’année 1944, 36pensionnaires. Le père CAZES s’occupe alors activement de l’école libre pendant cette période de restriction. Afin de pourvoir à l’alimentation de ses pensionnaires il cultive quatre pièces de terre dans la propriété de la Gaudiere car les tickets de rationnement ne suffisent plus. Il élève des porcs, des poules et des lapins, plante des pommes de terre. Pour le chauffage l’hiver, il part avec le cordonnier faire un stère de bois par jour.
Il se multiplie, il joue de l’orgue, s’occupe de la chorale et des colis pour les prisonniers. Il fallait chercher les produits à Marines avec un cheval et une carriole attelée. Les familles au retour confectionnaient les colis ; il glissait alors dans chacun d’entre eux une lettre écrite de sa main. Il gardera toujours un bon souvenir de cette période difficile. Le père Cazes était très modeste et discret il ne parlait jamais du petit réseau de résistance de Vigny dont il faisait partie. Principales actions : actes de sabotage sur la N14 et transports de plis.
A la pentecôte de l’année 1945, l’institut CALOT reprend le chemin de BERCK, le pays retrouve alors son allure de petit bourg. Probablement usé et fatigué par ces années terribles, le 17 octobre 1945, il tombe gravement malade. Durant de longs mois, sa souffrance fut atroce, les médecins étaient impuissants, en un mot il était condamné. Parmi les fidèles amis qui lui rendaient visite se trouvait l’abbé GALAZZINI qui avait fait le grand séminaire de Versailles avec lui.
Le 22 décembre 1946 son confrère lui déclare qu’il avait fait le vœu suivant : « votre présence sur terre est plus nécessaire que la mienne car votre foi convainc mieux ; j’offre donc ma vie à Dieu en échange de votre rétablissement ». Le père CAZES prenait ces paroles à la légère : son confrère avait une santé éclatante et était physiquement son contraire. Il ne reverra pas son ami car un mois jour pour jour il meurt brusquement.
Le 4 avril 1947, le jour du vendredi saint il guérit inexplicablement. Ce jour là alors qu’il n’avait absorbé aucune nourriture solide depuis des mois il réclame à manger et engloutit une énorme assiette de
poireaux à l’huile et vinaigre tendue par un religieuse. Nous pensons que c’est le jour même qu’il s’est levé et est allé à la Chapelle pour célébrer une messe, sous les yeux ébahis du personnel. Le lendemain il se lève et le dimanche de paques il célèbre la messe. Trois médecins constatèrent son miraculeux rétablissement. A la suite de cette maladie il obtiendra de l’évêché de pouvoir rester indéfiniment dans sa paroisse de Vigny.
Retrouvant tout son dynamisme il se lance dans la préparation d’une grande kermesse dans le parc du château pour pouvoir financer les œuvres paroissiale et l’école libre car il n’avait aucune aide publique. Le challenge est d’envergure, car la date de cette première kermesse est fixée au 6 juillet 1947. Certain critiquait le père CAZES on lui disait : « Comment M. le curé vous faites une vente de charité à l’époque actuelle ? Tout le monde est fauché, c’est la crise ! » Il répondait : « les cœurs charitables ne sont jamais fauchés et la crise ne peut atteindre, et n’a jamais atteint, la bonté des braves gens de chez nous.» Avec son superbe optimisme les dons affluèrent de Marines, Meulan, Pontoise et Paris. Cette kermesse était organisée tous les deux ans, elle était réputée, on accourait de toute l’île de France. Elle était fastueuse il y avait jeux de plein air, danses, chants folklorique et même en 1957 pour le 10e anniversaire un tournoi de catch avec le célèbre Laurent DAUTHUILLE4 ; enfin le soir, bal avec des illuminations féeriques. Le père CAZES l’appelait :« l’événement extraordinaire »
Parallèlement, en dépit d’une santé fragile et d’efforts surhumains, il se dévoue particulièrement aux malades, aux personnes âgées qu’il entoure de sa gentillesse. En vélo il va les voir chez eux, ou dans les hôpitaux de la région, heureux de pouvoir leur manifester sa sympathie et leur apporter un réconfort moral spirituel. Les paroissiens s’apitoyèrent sur son sort, car voyant le père CAZES peiner sur son vélo sur les difficiles routes du Vexin, ils lui offrirent une MOTOBECANE. Plus tard il roulera en 2ch.
Au tournant des années soixante les mœurs évoluent ; mais laissons parler le père CAZES :
« Le pays était foncièrement rural, les gens restaient au village et avaient une vie de famille, ils venaient à l’église et on peut dire que toutes les familles à l’époque pratiquaient.»
Le changement commença en 1958 au moment de l’excitation de la jeunesse et de l’embauche massive à l’usine RENAULT de Flins J’étais en bon terme avec le chef du personnel c’est comme cela que j’ai fait entrer beaucoup de jeunes à l’usine Cela tombait bien, il y avait de moins en moins de travail dans les fermes, les cultivateurs abandonnant les chevaux pour la mécanisation. J’ai été obligé de fermer l’école libre en 1964 par manque de moyens mais j’ai aussi profité du départ, à la retraite de l’institutrice Mlle SAUVAGE. A partir de ce moment la vie du village a changé, les jeunes ne restaient plus sur place, je n’avais pas de contact avec eux. Conséquence de la fermeture de l’école libre et de l’évolution des mentalités je faisais le catéchisme q’une fois par semaine le jeudi.
A la construction du lotissement de la Gaudière, le père CAZES a beaucoup de mal à établir des contacts avec les nouveaux habitants. Il dit : « ils ne sont jamais là dans la journée, donc impossible de les voir, même dans le vieux Vigny les nouveaux, qui remplacent les anciens, adoptent le même style de vie que là haut, c’est à dire celui de la cité dortoir.»
Le 24 juin 1989, c’est le jubilé du père CAZES, 50 ans dans la même paroisse c’est un cas unique en île de France et rarissime en France. Cet événement est aussi exceptionnel que la Personnalité du prêtre, archétype du curé de campagne. L’hommage lui est rendu dans son église par Mgr JORDAN 5 évêque de Pontoise et de nombreuses personnalités dont le maire M. Yves DE KERVEGUEN. Pendant cette messe la chorale du Vexin était dirigée par M. Paul GATEAU puis suivie en fin de cérémonie par la fanfare des sapeurs pompiers.
Ensuite un déjeuner de retrouvailles fut organisé dans la salle des fêtes, et dans l’après midi un concert d’orgues et de trompettes. La soirée fut clôturée par un feu de la Saint Jean.
Il reste dans son presbytère mais d’être mis à la retraite sera une vrai brisure pour lui. Il dit simplement : « que les gens viennent à moi puisque je ne peu plus aller à eux sans obligation qu’ils viennent à l’église qu’ils me considèrent comme un homme.»
Pendant ces quinze dernières années, la maladie ralentira son activité, mais on croisait régulièrement sa frêle silhouette près de la place d’Amboise. Il marquait ainsi sa présence parmi les villageois. On le retrouve aussi à l’occasion des grands événements qui ponctuent la vie de la commune, comme le 31 mai 1994 lorsqu’il accueille, le pilote américain Bob O’NEILL au cours d’une cérémonie émouvante à l’église :
Ou encore le 16 juin 1996 pour la messe solennelle à la célébration du centenaire de la pose de la première pierre de l’église de Vigny. Et le 26 juin 1999 pour le soixantième anniversaire de son ordination sacerdotale. A cette occasion l’église était pleine à craquer.
A l’automne 2003, le décès d’une personne qui l’avait entouré de beaucoup de soins, Melle ROLLE, l’avait profondément marqué. Il meurt en son presbytère, le 29 février 2004, à l’âge de 90 ans.
C’était un homme de caractère, doué d’une très grande énergie morale. Les Vignois aimaient ce sourire d’affabilité, ces paroles d’âme à âme. C’est bien une manière de saint qui s’éloigna à jamais.
F et P. H
Le père ORIOU trouvera une mort tragique, le 4 septembre 1939, à la suite d’un accident de la circulation.
Témoignage de la procession par M. DEVILLERS : « A Vigny le dimanche 16 juin nous avons eu la procession du Saint Sacrement, l’après-midi à quatre heures nous avons été à la procession organisée par M. le curé ; c’est en effet la première année où les processions dans les rues sont officiellement autorisées. La procession marchait dans l’ordre habituel, mais que je ne connaissais pas puisque que je n’en avais jamais vue : d’abord la croix portée par un enfant de chœur entouré de cinq ou six autres, puis des petites filles jetant des pétales de rose, puis les enfants de Marie portant une première bannière, puis quelques jeunes gens portant la bannière de Saint Médard, une dizaine d’enfants de chœur précédant monsieur le curé marchant sous le dais ; suivis des hommes et jeunes gens de Vigny, dont papa Lou et moi, puis venait les femme dont maman Paulette. La procession partit de l’église jusqu’à un premier reposoir contre la porte du château, puis un deuxième un peu en dehors du pays appuyé à la dernière porte du parc du château, puis elle revint à l’église. Au deuxième reposoir au milieu des champs, monsieur le curé fit un petit sermon.
La procession était très réussie et cela donne une idée de celles qui au moyen age étaient si importante. Le parcours était orné de fleurs et le temps incertain s’est maintenu beau pendant ce temps. »
Dix ans plus tard, à la suite d’un article de presse relatant sa miraculeuse guérison le père CAZES reçu un étrange visite ! celle d’un prince Russe, le prince Félix YOUSSOUPOFF le meurtrier de RASPOUTINE. L’assassinat de RASPOUTINE à Petrograd en décembre 1946 concorde curieusement avec le vœu de l’abbé GALAZZINI pour le rétablissement du père CAZES. A Vigny le prince se confessa et apaisa sa conscience auprès du père CAZES, car depuis 40 ans, cet épisode sanglant le tourmentait et le
poursuivait et il cherchait à se repentir. En quittant le père CAZES le prince lui donna et dédicaça le livre : «la fin de RASPOUTINE » livre qu’il avait écrit en 1925.
Le prince YOUSSOUPOFF était le neveu du tsar. Sa famille y tenait par sa puissance et sa situation mondaine, un rang exceptionnel en Russie, son père étant gouverneur général de Moscou.
Le prince YOUSSOUPOFF était mémorialiste, il est mort dans son lit à Paris en 1967.
En 1950 il fut battu par Jack LA MOTTA pour le titre de champion du monde des poids moyen. Il menait au point lorsqu’il fut mit KO au 15e round à 23 secondes de la fin. Bien d’autres vedettes vinrent à ses kermesses comme par exemple André CLAVEAU et Roger NICOLAS.
5) A ce moment c’était le plus jeune évêque de France.
Sources :
Jean Ferlier : entretiens avec le père CAZES ( sonothèque personnelle )
Souvenirs de M. DEVILLERS.
Les journaux régionaux et nationaux. RASPOUTINE par Michel DE ENDEN.
Et les précieuses indications de Mme Rolande MARTIN et Mme Suzanne ROLLE.